La contestation contre la guerre se propage, malgré les évacuations. Le mouvement demande aux institutions de l’enseignement supérieur de renoncer à leurs investissements liés, de près ou de loin, à Israël.

Soudain, un campement de soutien à Gaza a éclos dans une université de Salt Lake City, au cœur de l’Utah. Aucune manifestation ayant trait au Proche-Orient n’avait eu lieu jusque-là sur un campus réputé comme l’un des moins actifs politiquement des Etats-Unis. L’occupation a été suivie d’incidents. Lundi 29 avril, dans la nuit, la police antiémeute a chargé et procédé à dix-neuf arrestations.

Le gouverneur républicain de l’Etat, Spencer Cox, a énuméré la liste des actes non protégés par le premier amendement de la Constitution sur la liberté d’expression (violence, dégâts matériels, camping dans les établissements), mais l’American Civil Liberties Union a répondu que le rôle des universités n’est pas de « réprimer les protestations », même si elles sont « bruyantes, gênantes et offensives aux yeux des autres ».

Illustration surprenante d’une contestation – jusque-là confinée à l’est du pays et à Austin, au Texas, où elle est sévèrement réprimée par le gouverneur républicain, Greg Abbott – qui s’étend désormais à tout le pays. 
Ses promoteurs évoquent la guerre du Vietnam ou la lutte contre l’apartheid, mais la mobilisation, amplifiée par les réseaux sociaux, concerne encore des effectifs réduits et la police a procédé à « seulement » 1 500 arrestations sur une trentaine de campus, selon la chaîne CNN. Partout, les autorités sont sur le fil du rasoir entre maintien de l’ordre, liberté d’expression et dérapage antisémite.

Columbia, à New York, reste l’épicentre de la contestation. Mardi, l’établissement avait été bouclé avant son évacuation musclée par la police dans la soirée et son cortège d’arrestations. Non seulement les protestataires (quelques centaines sur 36 000 étudiants) avaient bravé l’ultimatum fixé par la présidente de l’université pour retirer leurs tentes d’une pelouse au cœur du campus, mais ils avaient investi le bâtiment Hamilton, célèbre pour avoir été occupé en 1985 lors des appels au boycott de l’Afrique du Sud encore en plein apartheid. Le bâtiment a été brièvement rebaptisé « Hind’s Hall » en l’honneur de Hind Rajab, 6 ans, tuée le 29 janvier à Gaza aux côtés de sa famille.
Cette humiliation de la direction de Columbia était inacceptable pour Joe Biden. « Le président respecte le droit à la liberté d’expression, mais les manifestations doivent être pacifiques et légales. S’emparer de bâtiments par 
la force n’est pas pacifique – c’est mal », affirmait mardi la Maison Blanche, précisant que le président américain condamnait « les diffamations antisémites » ainsi que l’« usage du mot “intifada” », « soulèvement » en arabe…

DES REMISES DE DIPLÔME ANNULÉES

Illustration surprenante d’une contestation – jusque-là confinée à l’est du pays et à Austin, au Texas, où elle est sévèrement réprimée par le gouverneur républicain, Greg Abbott – qui s’étend désormais à tout le pays. 
Ses promoteurs évoquent la guerre du Vietnam ou la lutte contre l’apartheid, mais la mobilisation, amplifiée par les réseaux sociaux, concerne encore des effectifs réduits et la police a procédé à « seulement » 1 500 arrestations sur une trentaine de campus, selon la chaîne CNN. Partout, les autorités sont sur le fil du rasoir entre maintien de l’ordre, liberté d’expression et dérapage antisémite. Columbia, à New York, reste l’épicentre de la contestation. Mardi, l’établissement avait été bouclé avant son évacuation musclée par la police dans la soirée et son cortège d’arrestations. Non seulement les protestataires (quelques centaines sur 36 000 étudiants)

Les débordements sont-ils profonds ou s’agit-il d’un effet de zoom, accentué par les réseaux sociaux ? Mardi, devant les portes fermées de Columbia, une enseignante de 58 ans, Ann Miller, accusait les médias de donner une image déformée de la réalité : « Dire que ces manifestations sont disruptives ? Soyons sérieux ! »

 Les professeurs de Columbia tentent de décrypter le mouvement. « L’accusation d’antisémitisme a été instrumentalisée pour interdire toute parole propalestinienne », estime Nadia Abu El Haj, anthropologue américaine, dont le père était palestinien. Elle dénonce un « effort concerté » pour « conserver un récit hégémonique profondément favorable à Israël ». « Les républicains se sont alignés sur des mégadonateurs [des universités américaines] et certains membres démocrates du Congrès qui soutiennent que la politique propalestinienne est intrinsèquement antisémite, mais ils ne sont pas intéressés par l’anti sémitisme. Ce sont les mêmes qui refusent de condamner le rassemblement Unite the Right à Charlottesville [en août 2017, quand des af
frontements avec l’extrême droite ont fait un mort parmi les contre-manifestants] », poursuit Nadia Abu El Haj, qui ajoute : « Cela pourrait coûter l’élection à Joe Biden. Il a complètement perdu le vote des jeunes. »
Le changement de l’Amérique est profond, à en croire Madeleine Dobie, professeure de français à Columbia : « Les jeunes ont changé, mais Israël aussi a changé », dit-elle, évoquant une puissance nucléaire, dirigée par Benyamin Nétanyahou avec l’extrême droite et qui ne négocie aucune paix avec les Palestiniens.
La présence d’étudiants juifs parmi les protestataires est très forte. « L’association Jewish Voice for Peace est au moins aussi puissante sur les campus que celle de Students for Justice in Palestine. Il s’agit de jeunes adultes qui, pour la plupart, ont grandi dans des familles très sionistes », renchérit Nadia Abu El Haj, qui estime que ces jeunes revisitent leur éducation.  « Certains manifestants sont antisémites,  certains sont manipulés, c’est une situation compliquée », déplore Dan Abrahams, ancien étudiant de Columbia venu contre-manifester. Se sent-il en danger ? « Non », répond-il sans hésiter. Un des leaders étudiants, Khymani James, a contribué à déconsidérer le mouvement : dans une vidéo datant de janvier, il dit que « les sionistes ne méritent pas de vivre ». L’étudiant a été exclu de Columbia.
 Les professeurs tentent de tempérer le sentiment d’insécurité de certains étudiants, juifs ou non juifs : « Je ne dis pas à 100 % qu’il n’y a pas eu d’incidents, mais je n’en connais pas beaucoup », témoigne Jennifer Wenzel, professeure de littérature, spécialisée dans le postcolonialisme Une des revendications essentielles des étudiants porte sur la fin des investissements liés à la guerre à Gaza, les universités ayant un portefeuille boursier et immobilier considérable : 50 milliards de dollars pour Harvard (Massachusetts), 40 pour Yale (Connecticut), 36 pour Stanford (Californie), 14 pour Columbia. Mardi, les étudiants de Brown, dans le Rhode Island, (6 milliards de dollars de fonds) ont démantelé leur campement, la direction ayant accepté de discuter du retrait des fonds des entreprises liées à l’armée israélienne. A Columbia, les étudiants ont une interprétation large de la participation à la guerre, qui inclut des géants de la tech comme Google, Amazon et Microsoft. Accepter de gérer un tel désengagement est délicat. De son côté, l’Université de Californie du Sud a annulé les cérémonies de remise de diplômes prévues le 10 mai après une controverse : elle a refusé de laisser la parole, comme c’est de coutume, à la major de la promotion, officiellement pour des raisons de sécurité, l’étudiante en question se trouvant être propalestinienne.

LIGNE DE NON-INTERVENTION
Du côté des universités publiques, la direction du système universitaire (UC California) qui regroupe dix campus, dont Berkeley, près de San Francisco, et UCLA, à Los Angeles, avait choisi de temporiser, d’autant que, dans la plupart des établissements, les cours sont terminés. Mais dans la nuit de mardi à mercredi, à Los Angeles, l’université a dû abandonner sa position d’arbitre lorsqu’un groupe de contre-manifestants pro-israéliens a violemment attaqué le campement des étudiants propalestiniens. La police antiémeute a finalement été déployée pour mettre fin aux affrontements. Mercredi soir, les autorités universitaires ont demandé l’évacuation du cam pement et la police s’apprêtait à intervenir. A Berkeley, en revanche, la direction poursuit sur sa ligne de non-intervention. A l’initiative de la UC Berkeley Divestment Coalition, les étudiants ont planté les douze premières tentes le 22 avril sur les marches du Sproul Hall. Un lieu symbolique depuis 1964 et l’arrestation de l’étudiant Jack Weinberg militant pour les droits civiques. Les militants de Free Palestine ont prévu d’occuper les marches jusqu’à ce que l’université se débarrasse de ses investissements dans des industries de l’armement et d’autres entreprises dont ils considèrent qu’elles profitent de la guerre à Gaza, comme BlackRock, Lockheed Martin ou Boeing.
 De son côté, l’organisation Jewish Community Relations Council Bay Area a jugé « abominable » le langage de certains manifestants propalestiniens, mais reconnu qu’il était couvert par la liberté d’expression. Elle a relevé 
que l’administration s’était engagée à assurer la sécurité des étudiants juifs. L’atmosphère restait pacifique à Berkeley, le 30 avril, avec des ateliers sur le désinvestissement ou sur l’histoire de la région, assurés par des profes seurs venus afficher leur solidarité. Débordés par les gestes de soutien, les étudiants propalestiniens ont demandé à leurs sympathisants de cesser de leur apporter des vivres.

 

 

 

 

 

 

 

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